Cannabinoïdes et diabète

Par Saoirse O'Sullivan

Le Dr Saoirse Elizabeth O'Sullivan a obtenu son doctorat du Trinity College de Dublin en 2001 et a déménagé à l'Université de Nottingham en 2002 en tant que chercheur où elle a commencé à étudier la pharmacologie des cannabinoïdes. Elle a été chargée de cours en 2007 et nommée professeure agrégée en 2011. Elle compte plus de 26 articles de recherche originaux, 6 revues et 3 chapitres de livres sur le sujet de la pharmacologie des cannabinoïdes, avec un intérêt particulier sur les effets cardiovasculaires et gastro-intestinaux des cannabinoïdes et le potentiel thérapeutique des médicaments à base de cannabis. Ses méthodes de recherche vont des modèles cellulaires et animaux aux études sur des volontaires humains sains en passant par les essais cliniques en phase précoce. En 2016, elle a été nommée jeune chercheuse de l'année de la Société Internationale de Recherche sur les Cannabinoïdes. En 2017, Saoirse créa sa propre société de conseil, CanPharmaConsulting.

Le diabète est un problème de santé mondial, touchant près de 10 % des adultes et est en augmentation. Le diabète est caractérisé par :

- une absence d'insuline (type 1, généralement diagnostiqué chez les enfants ou jeunes adultes)

- une insensibilité à l'insuline (type 2, apparition plus tardive associée à une prise de poids ou de tour de taille)

Cela signifie que le corps n'est pas capable de stocker les sucres du sang (glucose), ce qui a un effet double : élévation du taux de glucose dans le sang et le corps ne peut utiliser le sucre comme combustible. Les complications dues à une glycémie élevée incluent : troubles du métabolisme, maladies cardiovasculaires, problèmes oculaires et rénaux, et douleurs.

Il existe plusieurs traitements disponibles contre le diabète : substitution de l'insuline (pour tous les patients atteints de diabète de type 1, et certains de type 2), médicaments prescrits pour contrôler la glycémie et augmenter la sécrétion de ou la sensibilité à l'insuline, changement de mode vie, ou encore chirurgie. Malgré ces traitements, le diabète reste la cause principale de cécité, d'insuffisance rénale, de crise cardiaque et d'accidents vasculaires cérébraux. Il est également la principale cause de décès dans le monde. Il est dès lors indispensable d'offrir plus d'options de traitements aux patients pour s'assurer que leur diabète soit correctement traité et contrôlé.

Fumer du cannabis et diabète

Beaucoup de diabétiques ont recours à l'automédication avec du cannabis/marijuana ou des produits à base de cannabis. Certains pensent que cela les aide à contrôler leur taux de sucre ou leur poids, à soulager la douleur, à gérer leur dépression, ou simplement à aller mieux. Cela a suscité un vif intérêt sur les effets (positifs ou négatifs) que peut avoir le cannabis sur le diabète. Effets que l'on a examinés dans de nombreuses études épidémiologiques (c'est-à-dire l'étude et l'analyse de modèles, causes et effets sur l'état de santé et d'une maladie). Une étude menée aux Etats-Unis sur 4657 participants suggère qu'à l'heure actuelle la consommation de marijuana était associée à une faible glycémie et une plus grande insulinosensibilité (suggérant dans les deux cas un bon contrôle glycémique). Une autre étude sur 3034 participants ne montre aucune causalité entre la consommation de cannabis et le diabète. Toutefois, il existe un risque accru de prédiabète (l'étape précédant le diabète où une glycémie élevée est détectée) démontré dans une recherche longitudinale sur 3151 participants. Une autre étude longitudinale suédoise sur 17967 participants n'a trouvé aucun lien entre la consommation de cannabis et le diabète de type 2. Une plus petite étude (30 sujets) a également découvert que les taux de glucose ou d'insuline dans le plasma ne diffèrent pas chez les fumeurs de cannabis. En tenant compte de toutes ces études, il semblerait que la consommation de cannabis/marijuana soit bénéfique pour contrôler son diabète ou n'aie aucun effet. En fait, une méta-analyse (une étude regroupant les statistiques de plusieurs autres études) suggère que fumer du cannabis aurait un effet potentiellement protecteur pour les diabétiques.

Essais cliniques contrôlés de médicaments à base de cannabinoïdes chez des patients diabétiques

La meilleure façon de prouver qu'un médicament est efficace est de le tester lors d'essais cliniques contrôlés dans la population appropriée de patients. A ce jour, on a étudié des antidiabétiques à base de cannabinoïdes dans deux cas :

  • Un inhibiteur des récepteurs CB1 (Rimonabant/Accomplia) pour la perte de poids et le diabète
  • Une diminution de la neuropathie diabétique (douleur) par Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC sous la forme de Nabilone/Cesamet), inhalation de THC, ou avec du Sativex (un médicament qui combine le THC et le CBD utilisé contre la sclérose en plaques).

Le récepteur CB1 est l'une des cibles principales de la protéine de la membrane cellulaire de la substance chimique dérivée du Δ-9-tétrahydrocannabinol (THC) et de composés que nous produisons dans notre corps appelés endocannabinoïdes. Ces endocannabinoïdes n'ont été découverts qu'au début des années 1990. Depuis, nous avons appris que le système endocannabinoïde est un grand ensemble de messagers chimiques, d'enzymes et de récepteurs qui contrôlent de nombreuses fonctions corporelles. L'une d'elles est la stimulation de l'appétit (plus communément appelé « la fringale » chez les fumeurs de cannabis). Nous savons que l'activation du récepteur CB1 en est la cause. Il est intéressant de noter que les rats sans récepteur CB1 (par modification génétique) ne risquent pas de développer de l'obésité ni du diabète de type 2, ce qui démontre l'importance de ce récepteur dans la régularisation du poids et du métabolisme. Sachant cela, Sanofi a développé le Rimonabant, un médicament qui bloque les récepteurs CB1, théorisant que cela diminuerait la prise de nourriture et ferait perdre du poids. Rimonabant a reçu sa première autorisation de mise sur le marché en 2006. Il était efficace dans la perte de poids et on a également découvert qu'il avait des effets positifs chez les patients diabétiques. Plusieurs études cliniques contrôlées de grande envergure ont démontré que le Rimonabant améliorait la glycémie et le contrôle du diabète, ainsi que d'autres fonctions métaboliques comme le taux de cholestérol et le tour de taille. Malgré ces points positifs, le Rimonabant a été retiré du marché en 2008 suite à des préoccupations de sécurité quant aux effets secondaires (dépression et idéation suicidaire). Cependant, le concept d'inhibiteur de CB1 bénéfique aux diabétiques reste un sujet d'étude. Les compagnies pharmaceutiques et les scientifiques étudient à présent les médicaments à restriction périphérique (càd un inhibiteur de CB1 qui n'accède pas au cerveau) sur des rats diabétiques. A l'heure actuelle, ils semblent prometteurs, sans, espérons-le, les mêmes effets secondaires.

La douleur est une complication à long terme du diabète. Les patients développent des lésions nerveuses dans tout le corps appelées neuropathies diabétiques. Il est parfois difficile de la traiter avec des antidouleurs conventionnels. Les patients évoquent couramment la douleur comme justification pour l'automédication avec du cannabis. Du coup, certains chercheurs ont examiné l'utilité des cannabinoïdes, à cet usage, chez les diabétiques. Le premier essai clinique randomisé contrôlé de ce genre, publié en 2010, établit que le Sativex (une combinaison des deux principaux éléments chimiques de la plante de cannabis, à savoir le THC et le CBD) n'avait aucun effet significatif sur la douleur de 30 patients randomisés entre le Sativex et un placebo. Pourtant, lors d'une étude de suivi ouverte (les patients savent quel médicament ils prennent) avec 380 patients sous Sativex pendant 38 semaines, la majorité a constaté des effets positifs sur leur douleur, leur sommeil, et a exprimé une amélioration globale (ils allaient mieux). Le THC seul, sous le médicament Nabilone (4 semaines de traitement), s'est avéré efficace dans le soulagement de la douleur pour 13 patients diabétiques lors d'une étude contrôlée en double aveugle. Un résultat similaire a récemment été obtenu après l'inhalation de THC lors d'une étude clinique randomisée en double aveugle contrôlée contre placebo et en crossover sur 16 patients. Elle a montré une diminution des complications générées par la douleur. Dans des études sur animaux, d'autres agonistes synthétiques de CB1 ont également soulagé la neuropathie diabétique. Dans l'ensemble, ces petits essais cliniques suggèrent que la neuropathie diabétique peut être soulagée avec du THC ou une combinaison de THC/CBD. Toutefois, des essais cliniques multicentriques à plus grande échelle sont requis pour le confirmer. Les données animales (voir ci-dessous) laissent entendre que les cannabinoïdes activateurs des récepteurs CB2 pourraient également aider à réduire la douleur diabétique. Cela reste toutefois à tester sur l'Homme.

Une autre étude, publiée en 2016, s'est penchée sur les médicaments à base de cannabinoïdes dans le traitement du diabète : elle a étudié le tétrahydrocannabivarine (THCV) et le CBD, seuls ou combinés. Ce petit essai clinique randomisé contrôlé et en double aveugle a démontré que le THCV seul (5 mg 2 x / jour) réduit le taux de glycémie dans le sang , mais que le CBD (100 mg 2 x / jour) n'a aucun effet sur différents marqueurs du diabète. Le THCV est un composé intéressant. Lors d'études animales, il a été établi qu'il améliore l'insulinosensibilité, réduit l'appétit, et provoque une perte de poids. Cela pousse à des recherches plus approfondies sur ce composé pour le traitement des patients diabétiques.

Etudes précliniques (animales et cellulaires) suggérant un effet positif des thérapies à base de cannabinoïdes dans le traitement du diabète

En plus des essais cliniques mentionnés précédemment, beaucoup de recherches sont actuellement menées dans les laboratoires au niveau cellulaire, tissulaire et animale pour mieux connaître l'efficacité possible de nouveaux médicaments à base de cannabinoïdes dans le traitement du diabète.

Depuis 2006, de nombreuses études publiées démontrent, dans des modèles animaux, qu'un traitement au CBD améliore grandement le diabète et ses complications. Dans le cas de rats et souris atteints de diabète de type 1, le CBD soulage la douleur, réduit la sensibilité thermique, l'incidence et la progression de la maladie, les lésions cardiaques, l'inflammation de la rétine, et l'inflammation du pancréas, protégeant l'îlot de Langerhans (où l'insuline est produite). Dans le cas de rats atteints de diabète de type 2, le CBD améliore également la fonction vasculaire. Dans les cellules exposées à de hauts taux de glucose, le CBD réduit le stress oxydatif et diminue la réponse inflammatoire. Toutes ces conclusions laissent entendre que le CBD pourrait être utile dans le traitement des diabètes de type 1 et 2, même si le seul essai clinique à ce jour n'a trouvé aucun changement après 12 semaines de traitement au CBD (100 mg 2 x / jour) chez les diabétiques de type 2. Mais, la comparaison entre cette dose de CBD (100 g 2 x / jour) avec celle qui s'est avérée efficace lors des études animales nous montre que la dose de CBD utilisée lors de cet essai clinique était peut-être trop faible. Une étude à posologie croissante est nécessaire pour tester de plus fortes doses (pour comparaison, les patients épileptiques prennent 1 g de CBD par jour).

Comme mentionné, activer les récepteurs CB1 avec du THC (modèles humains) ou avec différents composés synthétiques (modèles animaux) soulage la douleur et réduit la sensibilité thermique chez les rats diabétiques. On peut atteindre les mêmes résultats en augmentant les niveaux du système cannabinoïde endogène en inhibant la dissociation des endocannabinoïdes ou leur transport. Augmenter les niveaux d'endocannabinoïdes leur permet d'interagir avec les récepteurs CB1. Des médicaments inhibant cette dissociation des endocannabinoïdes sont cliniquement mis au point et pourraient être disponibles à l'avenir pour la gestion de la douleur.

Autre cible des cannabinoïdes dans le corps humain : les récepteurs CB2 qui jouent un rôle important dans le système immunitaire. On a aussi démontré les effets bénéfiques de l'activation des CB2 dans des modèles animaux diabétiques. Dans les modèles animaux diabétiques, les agonistes CB2 réduisent les lésions cardiaques, l'inflammation, les lésions rénales, soulagent la douleur et améliorent l'insulinosensibilité. Des essais chez l'Homme pour les agonistes CB2 doivent encore être conduits.

En plus des CB1 et CB2, les cannabinoïdes agissent sur les récepteurs orphelins du corps. Ce sont des récepteurs pour lesquels nous ne connaissons pas encore la substance chimique qui peut se lier à ces récepteurs. Jusqu'ici, il est prouvé que les cannabinoïdes agiraient sur les GPR55 et GPR119, et que les médicaments qui se lient à ces récepteurs réduisent les taux de glycémie et d'insuline chez les rats diabétiques. Cela pourrait donc être encore une autre manière pour les cannabinoïdes d'affecter le diabète.

Conclusion

Les preuves épidémiologiques suggéreraient que fumer du cannabis/de la marijuana aurait un effet positif ou neutre sur le diabète. Quelques essais cliniques contrôlés chez l'Homme laissent entendre que les cannabinoïdes peuvent être bénéfiques dans le traitement du diabète en gérant la glycémie, la douleur et d'autres symptômes associés au diabète, mais plus d'études doivent être menées pour asseoir ces résultats avant que de nouveaux médicaments puissent entrer sur le marché. En se basant sur les preuves des modèles animaux disponibles à ce stade, le CBD, l'inhibiteur périphérique des récepteur CB1, et l'activation des récepteurs CB2, GPR55 ou GPR119 sont prometteurs pour le traitement du diabète. Ils doivent encore passer le test humain, mais tout laisse à penser qu'il pourrait s'agir de nouveaux traitements novateurs et passionnants pour les patients diabétiques.

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