Cannabinoïdes et maladies inflammatoires de la peau

Par Eduardo Muñoz

Docteur en médecine et chirurgie, professeur d'immunologie au département de Biologie cellulaire, Physiologie et Immunologie de l'université de Cordoue, et directeur du groupe de recherche « Inflammation et Cancer » à l'Instituto Maimónides de Investigación Biomédica de Cordoue. Dr Muñoz concentre ses recherches sur l'étude des cannabinoïdes dans les maladies inflammatoires et le développement de nouveaux cannabinoïdes semi-synthétiques. En 2003, il fonde VivaCell Biotechnology España, un laboratoire pharmaceutique qui développe de nouveaux médicaments à base de cannabinoïdes non-psychotropes.

La peau est le plus grand organe du corps humain et l'une de ses principales fonctions est de protéger le corps contre les agents externes. Elle est la première ligne de défense du système immunitaire inné. D'autres rôles importants de la peau incluent : le contrôle de la température corporelle, le maintien de l'équilibre hydro-électrolytique et la perception des stimuli douloureux ou agréables. Toute altération du fonctionnement ou de l'apparence de la peau peut avoir de graves conséquences sur notre santé physique et mentale. Beaucoup de problèmes que rencontre la peau se limitent à celle-ci. Il arrive toutefois que dans certains cas, la peau révèle un problème touchant l'ensemble du corps.

Développement de médicaments pour la dermatologie

Près de 37 % des patients de soins de santé primaires souffrent de dermopathie aigüe ou chronique. Il est donc surprenant de constater que très peu de nouveaux médicaments destinés à traiter ces maladies sont développés, surtout pour celles qui sont les plus fréquemment soignées par les dermatologues et les non-dermatologues, si on les compare à d'autres pathologies. Autre raison qui explique pourquoi peu de firmes pharmaceutiques investissent dans des médicaments dermatologiques : le rendement économique (particulièrement pour les topiques dermiques) est relativement petit comparé au marché des médicaments pour d'autres maladies (par exemple, les maladies cardiovasculaires) (Eaglstein et Corcoran, 2011).

Autre facteur qui restreint le développement de médicaments à base de produits naturels (y compris les préparations de Cannabis sativa) : le fait que dans la plupart des cas, il n'est pas possible de garantir une protection adéquate de la propriété intellectuelle du médicament, incitation essentielle pour l'investissement dans de nouveaux médicaments, quels qu'ils soient. Il n'est dès lors pas surprenant que la grande majorité des maladies de la peau, surtout les maladies inflammatoires, soit traitée avec des produits en vente libre (parapharmaceutiques) dont l'efficacité n'est, pour la plupart, pas prouvée.

Cannabinoïdes en dermatologie

L'utilisation topique du cannabis sativa L remonte à la Chine antique où les préparations de cannabis étaient utilisées de manière externe pour soigner des éruptions cutanées, des ulcères, des plaies et la perte de cheveux. Il existe également des preuves archéologiques suggérant que des préparations topiques de cannabis étaient utilisées dans l'Egypte ancienne dans des pansements de plaies et pour traiter des troubles oculaires. Les feuilles de cannabis étaient utilisées dans la médecine arabe du Moyen Age pour soigner les maladies de peau comme le pityriasis et le lichen plan. Plus récemment, au début du XXe siècle, avant la prohibition, des teintures de cannabis était fréquemment vendues en pharmacie. Elles étaient utilisées, entre autres, pour soigner les callosités, l'hyperactivité vésicale, les douleurs menstruelles et comme aide au sevrage de l'addiction à l'opium.

La peau possède tous les éléments du système endocannabinoïde : composés endocannabinoïdes (anandamide ou AEA et 2-arachidonoylglycérol ou 2-AG), récepteurs métabotropiques (CB1R et CB2R) et ionotropiques (TRPV-1) des cannabinoïdes, et les enzymes impliquées dans la synthèse et le métabolisme des endocannabinoïdes (par ex. FAAH et MAGL). Les différents éléments du système endocannabinoïde participent aux mécanismes clés de la régulation de la peau : contrôle de la croissance de l'épiderme et des annexes cutanées, survie cellulaire, réponses immunitaires et inflammatoires, transmission des stimuli sensoriels au système nerveux central (douleur, démangeaison), synthèse des lipides, etc.

En dépit de cette longue histoire de recours topique au cannabis et à la progression de notre compréhension du système endocannabinoïde de la peau, la recherche sur l'utilisation des cannabinoïdes pour les pathologies dermatologiques est l'un des champs de recherches les plus récents dans ce domaine. Les données cliniques sur l'usage du cannabis dans la pratique dermatologique restent extrêmement limitées. Néanmoins, il y a de plus en plus de preuves du potentiel des cannabinoïdes dans le traitement des maladies inflammatoires de la peau (y compris pour le psoriasis et la dermatite atopique) et des maladies auto-immunes (comme la sclérodermie, caractérisée par une inflammation et une fibrose).

Psoriasis

Le psoriasis est l'une des maladies inflammatoires chroniques de la peau les plus fréquentes. Il est caractérisé par une hyper-prolifération et une desquamation des kératinocytes, conséquences d'une part de l'infiltration des cellules T et des neutrophiles, et d'autre part de l'activation des cellules dendritiques et macrophages. Même si la pathogénie du psoriasis n'est pas totalement connue, il existe des preuves solides qui suggèrent que la dérégulation des cellules immunitaires de la peau, en particulier des cellules TH1 et TH17, joue un rôle crucial dans son développement.

Bien qu'il n'y ait à ce jour que des preuves anecdotiques sur l'utilisation du cannabis sativa L dans des préparations pour un usage topique contre le psoriasis, les possibilités thérapeutiques des cannabinoïdes, par l'action des CB2R et des mécanismes indépendants des récepteurs cannabinoïdes classiques, sont vastes étant donné leur rôle dans la régulation des lymphocytes TH1 et TH17 (Derakhshan et Kazemi, 2016). On a également observé que certains phytocannabinoïdes inhibent la prolifération des kératinocytes en évitant les CB1R et CB2R (Wilkinson et Williamson, 2007).

Dermatite atopique

La dermatite atopique est la maladie inflammatoire chronique de la peau la plus fréquente. L'apparition et la progression de la maladie sont provoquées par l'interaction de facteurs génétiques, environnementaux et immunologiques. Les caractéristiques cliniques de la dermatite atopique incluent : sécheresse de la peau à cause de la perte de la barrière épidermique, érythème, exsudation, croûtes et lichénification. Il faut y ajouter des démangeaisons intenses qui conduisent à se gratter fréquemment et à des infections par staphylocoques. Il n'existe aucun remède contre cette maladie et l'objectif principal du traitement est de réduire les symptômes (démangeaisons et dermatites), éviter l'exacerbation et minimiser les risques d'infection. Le traitement standard se concentre sur l'utilisation de préparations topiques anti-inflammatoires à base de corticoïdes et l'hydratation de la peau. Mais dans les cas sérieux, les patients peuvent avoir recours à un traitement systémique à base d'immunosuppresseurs puissants, comme la ciclosporine ou le tacrolimus, et des antibiotiques pour éviter les infections par des bactéries de type staphylocoque.

Aujourd'hui, de nombreuses préparations parapharmaceutiques à base d'huile de graines de cannabis sativa L (surtout de chanvre) sont disponibles pour traiter la dermatite atopique. Toutefois, et malgré la publicité mensongère souvent utilisée pour vanter de tels produits, l'huile de graines de chanvre ne contient pas de cannabinoïdes ni d'autres composés phénoliques bioactifs et ses effets thérapeutiques ne vont pas au-delà des autres préparations contenant des acides gras polyinsaturés et favorisant l'hydratation de la peau.

Cependant, d'après des études précliniques, les cannabinoïdes ont également un grand potentiel thérapeutique contre la dermatite atopique (Ong, P.Y.,2009 ; Wollenberg et als, 2014). A cet égard, les agonistes sélectifs CB1R inhibent l'activation des mastocytes et la libération d'histamine. De plus, on établit que l'application topique d'anandamide analogue réduit la dermatite chez les modèles animaux atteints de la maladie (Kim et al., 2015). D'autres auteurs suggèrent que l'expression des CB1R dans les kératinocytes joue un rôle pertinent dans le maintien de la barrière épidermique (Gaffal et al., 2014). Enfin, la libération d'histamine des CB2R a été décrite comme inhibant la réaction inflammatoire de la peau causée par l'IgE (immunoglobuline E) et un prurit spontané et intense (Maekawa et al., 2006).

L'action antibactérienne des préparations à base de cannabis sativa et des phytocannabinoïdes est bien connue depuis des décennies ; même si ce n'est que plus récemment que l'activité antibactérienne des cannabinoïdes THC, CBD, CBG et de leurs précurseurs (acides) contre les staphylocoques résistants à la méticilline a été démontrée (Appendino et al., 2008).

Près de 100 cannabinoïdes ont été identifiés dans la plante, ainsi qu'un grand nombre d'autres composés bioactifs tels les phénols et les terpènes, lesquels ont aussi des effets antioxydants et anti-inflammatoires importants (Hanuš et al., 2016 ; Russo, 2011). On estime que les cannabinoïdes et d'autres types de composés possèdent des effets synergiques entre eux. Cela expliquerait pourquoi lors de certaines études in vitro, on obtient de meilleurs résultats avec des extraits de la plante plutôt qu'avec des composés isolés pures. Même si la quantité de cannabinoïdes et d'autres composés dépend de la variété de la plante, on peut affirmer que les cannabinoïdes ont un potentiel énorme dans le traitement de la dermatite atopique, vu leurs propriétés anti-inflammatoires et antibactériennes.

Cannabinoïdes et sclérodermies

La sclérose systémique, ou sclérodermie, (SSc) est une maladie auto-immune rare qui a trois déterminants principaux : un dysfonctionnement des fibroblastes entrainant une augmentation du dépôt de protéines dans la matrice extracellulaire, une vasculopathie des petits vaisseaux provoquant une hypoxie des tissus, et une réponse auto-immune avec production de cytokines pro-inflammatoires et d'auto-anticorps. La Ssc se caractérise par une fibrose et un épaississement progressif de la peau, associés à une accumulation excessive de collagène. Elle peut se limiter à la peau (sclérose systémique cutanée localisée) ou s'étendre à d'autres organes internes (Ssc diffuse). La sclérose systémique débute par une lésion microvasculaire et une inflammation, suivies de l'initiation des fibroblastes, évènement clé dans le développement de la fibrose.

Des preuves récentes montrent que la manipulation génétique et pharmacologique du système endocannabinoïde module la réaction fibreuse. Les récepteurs CB1 et CB2 ont également répondu selon des schémas différents lors de modèles expérimentaux de fibrose dermique. Une inhibition des CB1R empêche l'initiation des fibroblastes et offre un effet antifibrotique puissant (Marquart et al., 2010). Le rôle des CB1R en tant que récepteurs profibrotiques a également été confirmé chez des souris knock-out pour la FAAH, chez qui des taux élevés d'endocannabinoïdes peuvent provoquer une fibrose via une voie dépendante des CB1R. D'un autre côté, l'activation des CB2R prévient la fibrose cutanée et l'infiltration des leucocytes tissulaires dans des modèles expérimentaux de fibrose dermique (Akhmetshina et al., 2009). En conséquence, JWH-133, agoniste synthétique des CB2R, atténue la fibrose dermique expérimentale dans des modèles avec souris. Cela concourt au fait que les souris knock-out CB2R sont plus sensibles au développement de la fibrose (Balistreri et al., 2011). On a également démontré que les agonistes PPARγ inhibent la réponse profibrotique en annulant la voie de signalisation TGFβ. Tout comme les doubles agonistes PPARγ/CB2R qui créent une forte activité anti-inflammatoire et antifibrotique dans des modèles expérimentaux de Ssc (Del Río et al., 2016).

Références :

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